C’était un grand brouillard annoncé par la météo depuis les événements de mars 2021, mais à Benno Bokk Yaakaar, on a préféré porter des lunettes colorées et se brancher sur la fréquence des louangeurs de tout acabit. Ni vues ni entendues toutes les récriminations qui se faisaient entendre un peu partout. La multiplication des manifestations de natures diverses traduisait bien un mal être qui n’a pas été lu avec discernement. Les communicants du pouvoir, confortables dans leur entre soi apériste, se sont mis à parler une langue incompréhensible au commun des Sénégalais. Yeewi Askan Wi, coalition qu’on disait de bric et de broc lancée le 2 septembre 2021 a bien profité de la situation en exploitant la colère des citoyens.
1. Yeewi, l’alliance du baroudeur et du stratège
Du côté du pouvoir, on n’a jamais voulu comprendre le sens de la mise sur pied de la coalition Yeewi Askan Wi (YAW). Une sorte de mariage de la carpe et du lapin. Elle était vouée à l’échec pensaient-ils tout haut. Comment Ousmane Sonko, le leader de Pastef qui a bâti toute son identité politique sur le renversement du système pouvait-il diner à la même table que Khalifa Sall qui en est la parfaite incarnation ? La question, principal élément de langage des débatteurs du pouvoir a encore été posée par le maire sortant de Guédiawaye Aliou Sall lundi dernier au cours de l’émission « Carte électorale » de la 2STV : « Je ne peux pas comprendre que des gens aussi structurés que Khalifa Sall ou Malick Gackou puisse se ranger derrière Ousmane Sonko ». En vérité, YAW est une réponse sibylline de Khalifa Sall (qui en est le théoricien et le maître d’œuvre) à Macky Sall : « Puisque vous ne voulez pas m’avoir en face de vous, je vais renforcer votre plus farouche adversaire ». C’est une alliance du baroudeur et du stratège.
Ces locales ont montré que YAW est un adversaire qu’il ne faut pas prendre par-dessus l’épaule. Contrairement à une autre grande coalition électorale, Idy2019 qui avait aggloméré des leaders politiques sans souder leurs bases respectives, YAW a joué à fond la carte de l’unité. Et sa stratégie qui a consisté à donner un enjeu national à une élection locale a été bien pensée. Les leaders de YAW ont fait le tour du Sénégal pour renforcer et légitimer leurs candidats tandis qu’en face c’était chacun pour soi.
2. Benno Bokk Yaakaar : l'urgente reprise en main
Jamais depuis qu’elle a été portée sur le fonts baptismaux entre les deux tours de la présidentielle de février-mars 2012, Benno Bokk Yaakaar (BBY) n’a montré autant de lézardes sur son unité que lors de ces élections territoriales. Querelles d’égos, disputes entre alliés, listes parallèles et batailles de positionnement ont porté un sérieux coup à la majorité. Beaucoup de communes perdues par BBY l’ont été du fait des listes concurrentes au sein de cette famille politique. A Thiès, par exemple, Benno Bokk yaakaar a dû face à And Siggil Thiès, une coalition dirigée par Abdoulaye Dièye et composée d’une dizaine d’entités politiques membres de la majorité présidentielle. Talla Sylla qui se réclame aussi de la mouvance présidentielle s’est présenté à ces élections sous la bannière de Waa Thiès. Les scores importants réalisés par le directeur général de la Société de consignation et de transit (Socotra) ont été des coups rudes portés à BBY. Car, l’élection des maires au suffrage universel ne permet plus des retrouvailles entre alliés au sein du conseil municipal aux fins de désigner le chef de l’exécutif local. Presque partout, les listes parallèles ont affaibli la majorité. Le scrutin majoritaire encourage plus les grands rassemblements que les dissidences. Yewwi Askan Wi l’a bien compris.
Les listes parallèles, cependant, n’expliquent pas à elles seules la déconvenue de la majorité au pouvoir dans nombre de localités. Quel est réellement le poids des alliés de l’APR, entretenus à grands frais, sur le terrain ? Les déconvenues de Idrissa Seck à Thiès, de Aminata Mbengue Ndiaye à Louga et de Moustapha Niasse à Keur Madiabel, tous présidents d’institution, sonnent comme une grosse piqûre de rappel. A quelques mois d’élections législatives cruciales, Benno Bokk Yaakaar doit revoir son casting et injecter une bonne dose d’autorité dans ses rangs.
Elle doit aussi se draper de plus d’empathie dans sa communication. Il ne sert à rien de le nier, la cherté de la vie enserre les populations dans ses mailles vigoureuses. Ça ne sert à rien de brandir des chiffres sans prise sur la vie réelle, la meilleure communication est celle de l’impact effectif des politiques publiques sur le quotidien des Sénégalais.
3. Wallu sur les décombres du PDS
Le Parti démocratique sénégalais (PDS) est assurément l’autre perdant de ces locales. Les résultats obtenus par la formation libérale sont très loin de la stature réclamée par son Secrétaire général. On a compris que le refus de prendre place à la table de Yewwi Askan Wi est une manière de ne pas plus de poids à un adversaire politique nommé Ousmane Sonko qui pourrait durablement faire de l’ombre à Karim Wade, le présent et le futur du PDS.
Aujourd’hui encore, Wade ne rate aucune occasion pour crier son amour pour son fils. Il ne prête guère attention aux fureurs du pays. Peu lui chaut ! Son fils, il en est convaincu, est le continuateur de son œuvre politique. Son héritage est en lambeaux, son parti a éclaté en mille morceaux, mais le scénario écrit d’avance ne souffre d’aucune modification. Les responsables acquis à la cause de Karim sont parachutés à la tête du parti libéral et clament partout que le fils est le meilleur successeur de son père. Le « plus courageux », le « plus apte » à faire gagner le Pds…
Les conséquences de cet aveuglement collectif étaient prévisibles. Puisqu’au Pds, il n’y a guère de salut en dehors des Wade, tous ceux qui ne voulaient pas subir leur diktat sont allés grossir les légions dissidentes qui ont eu raison du rêve libéral. Souleymane Ndéné Ndiaye, Ahmet Fall « Braya », Aïda Mbodj, Modou Diagne Fada, Madické Niang, Oumar Sarr, Babacar Gaye, Bara Gaye, pour ne citer que ceux-là, ont exprimé le peu d’enthousiasme que leur inspire le dessein de Wade. Quand dans un parti, les principaux responsables se croisent sans se voir et se succèdent sur la scène politique en récitant des formules dissonantes, cela fait penser à un vaudeville. La « grande » coalition Wallu Senegal qui croyait être en mesure de raviver la flamme a fait pschitt. Sans plus. Et ce ne sont pas les résultats faméliques engrangés par cet ancien parti au pouvoir qui vont semer les graines de la renaissance.
4. Le pouvoir aux jeunes
En 2007, l’historien Mamadou Diouf posait déjà le débat : « J’ai toujours été harcelé par le fait que des sociétés où 70% de la population a moins de 25 ans soient dirigées par des hommes qui ont plus de 50 ans. Il faut trouver une représentation de ceux qui font la société ». Il n’y a guère, la faible représentation des jeunes dans le système politique sénégalais frisait la discrimination. De modiques quotas leur étaient réservés dans les partis à l’instar des femmes et il y avait toujours des apparatchiks pour leur rappeler que la politique est l’affaire des vieux. Le président Wade, au moment de nommer Idrissa Seck à la primature ne s’était pas privé de l’avertir : « Je te considère comme mon fils. Je ne voudrais pas que tu te présentes comme un homme du présent en faisant de moi un homme du passé ». Ailleurs, le choix d’Abdou Diouf porté sur un "jeune" de 52 ans pour en faire le Premier secrétaire du PS lui a coûté son fauteuil. En effet, parce qu’ils n’étaient pas d’accord sur la place faite à Ousmane Tanor Dieng, Djibo Kâ et Moustapha Niasse ont préféré claquer la porte pour créer respectivement l’URD et l’AFP.
L’accession au pouvoir du Président Macky Sall a fait bouger les lignes et enclenché la fin de cette crise de représentation de la jeunesse. Un mouvement qui s’est accentué avec l’irruption d’Ousmane Sonko sur la scène politique. Il serait intéressant de dresser la liste des jeunes promus lors de ces élections territoriales. Une chose est certaine, le rajeunissement de l’élite politique est en marche. Mais, il faut en convenir, les notions de « jeunesse » et de « vieillesse » sont éminemment relatives. Le sociologue Pierre Bourdieu, dans un article intitulé « La jeunesse n’est qu’un mot » souligne que l’âge est « une donnée biologique socialement manipulée et manipulable », que « les divisions entre les âges sont arbitraires » et que « la frontière entre la jeunesse et la vieillesse est dans toutes les sociétés un enjeu de luttes ».
5. Le terrain plutôt que les médias
Dans nos démocraties qui relèvent, le plus souvent, d’un régime représentatif, la légitimité politique est d’abord une légitimité électorale. Le pouvoir est, avant tout, pour ceux qui sont régulièrement élus. Dès lors que l’on a été choisi par ses concitoyens, à l’échelle nationale (président de la République, député, sénateur) ou à l’échelle de la ville ou de la région (élus locaux), l’on dispose d’une légitimité politique très forte pour parler et agir, pour soi et pour les autres, dans l’espace public. C’est cette légitimité qui fonde le statut de médiateur des hommes politiques. Ils ont la confiance des citoyens qu’ils représentent.
Cette légitimité politique est souvent usurpée par des politiciens, habiles rhéteurs, qui parlent « au nom des Sénégalais » tout en poursuivant des objectifs bassement alimentaires. Des politiciens à l’audience confidentielle qui guettent la moindre décision du président de la République pour se répandre dans les médias et applaudir bruyamment des mains, des pieds, de la langue et de la tête. Ces derniers visent une autre légitimité : celle que Jean-Marie Cotteret, auteur de l’ouvrage « Gouverner, c’est paraître », appelle « la légitimité cathodique ». Elle se nourrit des médias pour entretenir l’illusion d’une représentativité. Les plus malins l’utilisent à leur profit. Ils manipulent les médias pour obtenir des avantages qu’ils seraient incapables d’acquérir par des voies traditionnelles. Malheureusement pour tous ces vendeurs d’illusion, l’élection est un moment de vérité implacable.
6. Viabilité de la démocratie sénégalaise
C’est encore une belle leçon de démocratie que le Sénégal a donnée dans une sous-région en mode kaki et bruits de bottes. Notre pays qui vote depuis 1848 peut et doit s’offrir en modèle pour contenir la tentation militaire. Cela demande de la responsabilité de part du personnel politique sénégalais. Les disputes politiques se multiplient toujours, les actes de violence essaiment à vive allure et le pays tout entier glose sans cesse sur la moindre déclaration du plus insignifiant des partis politiques. TOUT est finalement politique au Sénégal. Faisons attention à ce que les disputes autour de l’enjeu de pouvoir, les constrictions nées du radicalisme des chapelles politiques sénégalaises ne prennent le dessus sur l’enjeu suprême de la préservation de la stabilité de notre pays. C’est cela la vraie responsabilité.
Si. Di.