Radioscopie d’un point de presse !

01 - Octobre - 2024

Fondant son exercice sur l’application de la loi n°2012-22 du 27 décembre 2012 ayant transposé dans l’ordonnancement juridique du Sénégal la Directive de l’UEMOA portant Code de Transparence dans la gestion des finances publiques, le nouveau Gouvernement a tenu un point de presse en date du 26 septembre 2024. L’objectif portait sur la présentation de la situation des finances publiques au 31 mars 2024. L'analyse des constats a mis en lumière des enjeux complexes qui vont au-delà de la simple transmission d'informations financières. Les accusations portées dans le rapport mettent en cause la gestion de l’Etat par les acteurs politiques de l’ancien régime sous la houlette de la coalition Benno Bokk Yakar mais aussi la fiabilité de la coopération que le Sénégal entretient avec ses partenaires techniques et financiers. En attendant la saisine et la gestion de cette situation par les autorités policières et judiciaires, ces allégations viennent renforcer des clivages existants au sein de la population, entraînant une polarisation accrue et potentiellement des tensions sociales. L’objet de cette réflexion est ainsi d’en explorer de manière approfondie et critique les principales conclusions.

Sur la forme, la présentation du rapport par des voies autorisées (Premier Ministre, Ministre de l’Economie, du Plan et de la Coopération, Ministre de la Justice, Secrétaire Général du Gouvernement, ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique) n’est pas anodine. Elle souligne à la fois le vœu de transparence dont les nouvelles autorités se réclament, mais aussi l’importance et la solennité qu’elles ont voulues rattacher à l’exercice. Présentées quelques six mois après l’investiture du nouveau Président de la République, (le délai fixé par la loi étant de trois mois), les constatations du rapport pourraient, aux yeux d’une partie de l’opinion publique, susciter un certain nombre de doutes quant à leur objectivité surtout qu’elles interviennent à l’orée d’une précampagne et d’une campagne d’élections législatives. En effet, pour un Gouvernement qui souhaite placer la transparence au cœur de son mandat, il aurait pu faire appel à la Cour des Comptes pour certifier les constatations de l’Inspection Générale des Finances. Pour cause, la certification des résultats par cette haute juridiction avant leur publication est un processus crucial pour assurer la transparence et l’intégrité des finances publiques. Cet exercice clé qui permet de valider l'exactitude des données financières, de détecter et de corriger les éventuelles erreurs avant leur publication aurait permis au Gouvernement d’éviter un éventuel embarras institutionnel en cas de divergences sur les résultats. Si la parole des gouvernants bénéficie généralement d’une présomption de véracité, rappelons que la Cour des Comptes a validé l’ensemble des chiffres de la période incriminée par le rapport. Aussi, puisqu’elle contribue à instaurer un climat de confiance entre le Gouvernement, la classe politique et les contribuables, la certification des comptes aurait dû gouverner à la présentation des données lors du point de presse.

Dès lors, le pouvoir judiciaire devra agir sans pression politique pour établir les faits. Son indépendance sera cruciale afin de garantir la confiance du public sachant que le traitement des allégations servira de test pour le système démocratique du pays dans son ensemble. Une réponse appropriée et juste sera impérative pour panser une démocratie à bout de souffle, renforcer un état de droit chancelant et encourager une meilleure conduite gouvernementale à l'avenir. Si les enquêtes sont perçues comme politisées, cela peut conduire à une détérioration de la légitimité des résultats. Les médias devront jouer un rôle clé en informant le public dans le cadre d’une couverture responsable et approfondie pour éviter la désinformation et maintenir une pression sur les institutions pour qu'elles rendent des comptes. Ces impératifs sont d’autant plus importants que dans un contexte où la confiance du marché financier international est déterminée par la qualité de l’information, le déballage public de telles données pourrait entraîner des conséquences durables pour notre pays tant sur le plan géopolitique qu’économique. Si le devoir de transparence doit être opposable au Gouvernement ainsi qu’à l’Administration de façon générale, les conséquences d’une telle situation pourraient affecter à court et moyen terme la crédibilité de notre pays.

Sur le fond, plusieurs constatations ont été révélées au nombre desquelles une sous-estimation significative de la dette publique et du déficit budgétaire, révélant un écart entre les chiffres annoncés par l’ancien régime et la réalité. En attendant la certification des constats par la Cour des Comptes, si avéré, ce manque de transparence serait évocateur de pratiques de gestion qui peuvent altérer la confiance des investisseurs et des citoyens dans la durée. En effet, la publication de données financières inexactes par les autorités sortantes pourrait durablement nuire à la réputation du Sénégal sur les marchés financiers. Avec de telles pratiques, les investisseurs peuvent craindre un risque accru, entraînant une hausse des coûts d'emprunt pour l'État et limitant l'accès à des financements internationaux. Ce manque de transparence soulève en outre des questions sur la responsabilité de la chaine de décision au sein de l’Administration mais aussi sur la nature et la fiabilité de la coopération du pays avec ses partenaires techniques et financiers. Comment comprendre par exemple que la Cour des Comptes qui examine les états financiers, les budgets, et les rapports d’exécution budgétaire pour s’assurer de leur conformité aux normes comptables ait pu ignorer de tels manquements. Cette haute institution qui suscite le respect et l’admiration des Sénégalais travaille avec des normes comptables nationales et des référentiels internationaux garantissant une approche standardisée et objective de ses résultats.

L'écart important entre le déficit budgétaire moyen annoncé (4,9%) et le chiffre réel (10%) peut être lu de différentes manières. Il témoigne d’une incapacité de l’ancien régime à mener une politique budgétaire ou à la gérer efficacement si tant est qu’elle ait existé durant la période en cause. Au-delà de ces constats, la réalité de cet écart suscite de vives inquiétudes sur la gestion de nos finances publiques à long terme. Les agences de notation de crédit pourraient être amenés à réviser à la baisse leur évaluation du pays, entraînant des coûts d'emprunt plus élevés. Si les déficits budgétaires constituent le levier de développement d’une politique économique, un déficit budgétaire excessif pourrait en revanche engendrer un risque de marginalisation du pays en limitant les capacités d’investissement du Gouvernement dans des secteurs cruciaux pour le développement économique, comme l’éducation et la santé, et risquerait ainsi d’approfondir les inégalités sociales.

S’agissant de la gestion de la dette, le rapport fait état de l’existence de 1.892 milliards de F CFA de supplément de dettes contractées non publié, principalement dû à des tirages sur des prêts projets sur financement extérieurs et des prêts contractés auprès de banques locales. A fin 2023, le rapport établit ainsi la dette publique centrale hors secteur parapublique à 15.664, soit 83,7% du PIB contrairement au 73% annoncé pour 13.772 milliards de dettes. Ce constat soulève des questions sur la gestion des ressources publiques et met à nu une gestion opaque affranchie de tout principe de bonne gouvernance. Les emprunts contractés sans communication adéquate à l’instar des emprunts externes témoignent d'une falta de planification voire d'un comportement opportuniste de la gestion de la dette.

L'audit financier a également mis en lumière des dysfonctionnements alarmants qui peuvent compromettre gravement la stabilité économique et la confiance envers le gouvernement. Selon le rapport, le surfinancement du Trésor Public, rendu possible grâce aux accords avec le FMI, a été utilisé comme un outil de dissimulation plutôt qu'un levier de développement. La somme de 605 milliards de F CFA semble avoir été détournée de son objet pour assurer le règlement de dépenses non budgétisées et des dettes connues de l’Etat. Si de telles pratiques sont avérées, ce ne serait pas seulement une question de mauvaise gestion, mais une véritable manipulation des fonds publics qui trahit les intérêts du pays et accroît son risque réputationnel. Le recours palliatif par les nouvelles autorités à des emprunts non programmés d’un total de 650 milliards de F CFA entre juin 2024 et le troisième trimestre, tels que l'émission d’eurobonds et d'autres crédits commerciaux, qui en est la conséquence immédiate, constitue une approche désespérée qui met en péril l’avenir économique du Sénégal. La stratégie de financer les déficits budgétaires par des dettes, sans plan clair, bien que pouvant bénéficier de circonstances atténuantes, est non seulement irréfléchi mais également suicidaire. Une telle approche expose le pays à un cercle vicieux d’endettement et augmente encore plus le risque d’une crise financière. Aussi, si le nouveau Gouvernement ne conçoit pas une vision à long terme pour gérer sa dette, le Sénégal pourrait rapidement se diriger vers le gouffre financier.

Le rapport porte également sur la croissance moyenne sur la période 2014-2023 qui a été d’environ 5% malgré un déficit budgétaire effectif d’une moyenne de 10% du PIB et une décélération de la croissance du PIB non agricole depuis 2018. Ces indicateurs signifient que l’action de l’Etat par l’endettement n’a pas été efficace. En effet, une croissance économique affichée de 5% entre 2014 et 2023, masquant un déficit budgétaire de 10,4% du PIB, est un indicateur d’une gestion irrationnelle. Cette dissonance révèle l'incapacité du Gouvernement à traduire la croissance en bénéfices tangibles pour la population. La chute de la croissance du PIB non agricole appelle quant à elle à s'interroger sur les véritables moteurs du développement économique de notre pays. La dépendance excessive au secteur extractif et le manque de diversification économique sont tout autant alarmants et témoignent d'une stratégie qui ne favorise pas la résilience nationale.

Les implications sociales et politiques de cette situation financière ne peuvent être ignorées. Les coupes budgétaires pouvant résulter d’un encadrement fiscal strict pourraient affecter plus durement les plus vulnérables et établir un climat de mécontentement social, menant à une éventuelle instabilité politique et sociale. L'accroissement de l'endettement et des déficits pourrait également exercer une pression sur le processus démocratique, en ralentissant les réformes nécessaires pour un développement inclusif et durable. Celles qui ont été annoncées par les autorités ambitionnent d’améliorer la transparence et la gestion de la dette, le redressement de l'économie et l’établissement des bases solides pour une transformation économique. Leur mise en œuvre doit être scrutée pour rendre leur application effective sachant que le Sénégal a un historique de promesses de réformes de la gouvernance économique qui n’ont jamais été matérialisées. En attendant, on notera les avantages et inconvénients des propositions qui ont été annoncées. Il s’agit de :
▪ Renouer avec la croissance ! L’optique d’une telle mesure est d’améliorer le niveau de vie des populations et générer des emplois qui ne manqueraient pas de stimuler la consommation et les investissements. Cette mesure peut être difficile à réaliser à court terme dans le contexte économique mondial actuel marqué par des crises multiformes. Une croissance rapide peut également accroître les inégalités si elle n'est pas bien gérée.
▪ Ramener le déficit à 3% ! Un déficit maîtrisé est crucial pour le Sénégal afin de maintenir la crédibilité du pays auprès des investisseurs et éviter des crises de la dette. Toutefois la réduction du déficit peut nécessiter des coupures budgétaires sévères pouvant affecter les services publics et aggraver la situation des plus vulnérables.
▪ Faire baisser la dette en dessous de 70% du PIB ! Une dette inférieure à 70% du PIB est une injonction de l’UEMOA. Elle est généralement perçue comme plus soutenable et favorisant un environnement économique stable. Son atteinte pourrait néanmoins nécessiter des mesures d'austérité ou des hausses d'impôts susceptibles d’être impopulaires et d’impacter négativement la croissance à court terme.
▪ Revoir les programmes sur financement extérieur ! Cette démarche permettra d'évaluer l'efficacité des investissements et de garantir que les ressources soient utilisées là où elles sont le plus nécessaires. Cet exercice pourrait cependant être chronophage du fait du processus bureaucratique et des pressions politiques pouvant influencer les décisions de façon objective.
▪ Rationaliser les dépenses à travers la réduction des subventions à l’énergie ! Ce choix pourrait libérer des ressources pour d'autres priorités sociales et réduire les distorsions de marché. En revanche, des coupes abruptes peuvent plonger davantage les ménages dans la précarité énergétique, incitant à une contestation sociale.
▪ Appliquer strictement les procédures de marchés publics ! Une telle démarche permettra d’augmenter la transparence, de réduire la corruption et garantir que les fonds publics soient utilisés de manière efficace. D’où l’importance de s’assurer que des procédures trop rigides ne retardent les projets et réduisent la souplesse nécessaire dans la gestion des marchés publics.
▪ Maîtriser la masse salariale ! Une telle mesure peut permettre d'optimiser les budgets et de rediriger des fonds vers d'autres secteurs prioritaires mais elle comporte le risque d'entraîner un mécontentement parmi les fonctionnaires et d'affecter la qualité des services offerts à la population.
▪ Optimiser la commande publique ! Cela permettra de réduire les coûts et assurer une meilleure utilisation des ressources disponibles. Toutefois, la mise en place de telles stratégies doit être accompagnée par une stratégie de renforcement de capacités et le développement de nouvelles compétences au sein des administrations.
▪ Protéger les couches vulnérables par un meilleur ciblage ! Un ciblage performant permet de garantir que les ressources atteignent ceux qui en ont le plus besoin, créant un filet de sécurité efficace, d’où la nécessaire coordination avec les partenaires sociaux. Il s’agira de définir de façon inclusive des critères objectifs de ciblage répondant aux normes internationales d’analyse de la vulnérabilité et du ciblage. La mise en place de ce genre de mesures peut cependant être coûteuse et complexe, risquant d'exclure certains groupes vraiment vulnérables.
▪ Réduire les coûts de production et de vente de l’énergie ! Cette approche pourrait favoriser un accès plus large à l'énergie notamment dans les zones rurales, stimulant la croissance. Le risque porterait toutefois sur des besoins d’investissements anticipés et de réformes que le budget de l’Etat ne pourrait supporter.
▪ Mobiliser des ressources internes par la réduction des exonérations fiscales ! L’élargissement de l’assiette fiscale peut générer des revenus supplémentaires tout en promouvant l'équité. La réduction des exonérations fiscales pourrait cependant rencontrer une forte opposition, en particulier chez les acteurs économiques bénéficiant de ces mesures.

La présentation de la situation des finances publiques du Sénégal a non seulement révélé une gestion problématique des chiffres et des données, mais aussi une interconnexion complexe d'enjeux économiques, sociaux et politiques. Pour tourner la page d'une gestion opaque et intransparente, il est impératif d'adopter une approche intégrée centrée sur la transparence, la reddition des comptes et la mise en œuvre rigoureuse de nouvelles réformes tout en prenant en compte les réalités socio-environnementales du pays. Le défi est immense, mais essentiel pour construire un avenir financier stable et prospère pour le Sénégal. Les constats révélés dans l’audit financier posent des questions sur la direction que la gestion des finances publiques a prise au Sénégal entre 2012 et 2024 mais aussi sur celles que le nouveau Gouvernement compte prendre pour le quinquennat. Il va sans dire que la nécessité d'une gouvernance transparente, responsable et axée sur le long terme n'a jamais été aussi pressante. Sans un changement radical dans la manière dont les finances publiques sont gérées, le Sénégal risque de sombrer dans une crise de confiance et une instabilité économique à long terme, entravant ainsi les espoirs de développement et de prospérité. Les propositions de réforme sont cruciales pour le redressement économique. Néanmoins, leur mise en œuvre demande une approche équilibrée, tenant compte des impacts sociaux et économiques. La transparence, l'inclusivité, et un dialogue avec toutes les parties prenantes seront essentiels pour surmonter les défis et garantir un succès durable. La certification des comptes de l’Etat par la Cour des Comptes avant la publication des résultats financiers doit présider à toute pratique de transparence en tant que mécanisme essentiel pour renforcer la transparence et la responsabilité. Ce processus contribue non seulement à garantir l'intégrité des finances publiques, mais aussi à restaurer et maintenir la confiance du public dans les institutions gouvernementales. Enfin, pour maximiser l'efficacité de cette procédure, les nouvelles autorités gagneraient à renforcer l’institution en allouant les ressources nécessaires et en protégeant son autonomie face à d'éventuelles pressions politiques.

Par Al Hassane NIANG

Commentaires
0 commentaire
Laisser un commentaire
Recopiez les lettres afficher ci-dessous : Image de Contrôle
Autres actualités

Projet Sénégal 2050 : Une vitrine brillante, mais vide !

15 Octobre 2024 0 commentaires
  Le Projet Sénégal 2050 se présente avec des ambitions affichées et des schémas visuellement alléchants rappelant le ca...
Demande de renseignement

Contactez nous au

07 69 67 77 43

ou