Le 16 septembre 2024, la ville de Touba, notamment le quartier de Keur Niang, a été frappée par des inondations dévastatrices qui ont causé d'importants dégâts matériels et perturbé la vie quotidienne de ses habitants. Cette énième catastrophe met en lumière l'urgence de traiter le problème des inondations au Sénégal, devenues un phénomène récurrent, exacerbé par le changement climatique et l'urbanisation rapide. Elle exhume une problématique en latence depuis plusieurs décennies qui représente non seulement un désastre environnemental, mais aussi un échec tragique des systèmes de gouvernance, de planification urbaine et de résilience communautaire dans notre pays. Retour sur les causes profondes, les impacts sociétaux, et les enjeux structurels sous-jacents qui font des inondations un problème récurrent dans la région du Baol et à travers le pays.
1. Causes structurelles des inondations
▪ Urbanisation anarchique
La première cause à aborder est l'urbanisation incontrôlée de Touba. Au fil des décennies, la ville a connu un essor démographique spectaculaire, mais les infrastructures sociales notamment de drainage n’ont pas suivi cette expansion. La construction de logements, souvent sans planification adéquate, a entravé le bon écoulement des eaux. Keur Niang, initialement prévu pour des habitations modestes, a vu naître des structures inadaptées à la gestion des eaux pluviales. Ce quartier, comme beaucoup d'autres du pays, est ainsi caractérisé par un drainage insuffisant qui aggrave les effets des pluies torrentielles. Les infrastructures locales, souvent inadaptées aux besoins croissants de la population, n'ont pu contenir les flots, entraînant la montée des eaux dans les maisons et les rues.
▪ Changements climatiques
A l’instar de plusieurs régions du monde, le changement climatique tend à exacerber des événements météorologiques de plus en plus extrêmes au Sénégal, rendant les inondations plus fréquentes et plus difficiles à anticiper. Les modèles de pluie ont changé, avec des épisodes pluvieux plus intenses sur des périodes plus courtes. Malgré Plan décennal (2012-2022) de Lutte contre les Inondations (PDLI), les politiques d'adaptation aux risques climatiques restent insuffisantes et manquent souvent de mises à jour et de financements adaptés.
2. Impact sur la population
▪ Dégâts matériels et psychologiques
Les conséquences matérielles de ces inondations ont été dévastatrices à l’échelle du pays et le drame en cours à Keur NIANG nous le rappelle douloureusement. De nombreux foyers ont perdu tout leur contenu, entraînant des pertes économiques et affectant un bien-être déjà précaire des familles et des populations de cette localité. Si de nombreux habitants ont été contraints de fuir leurs foyers pour échapper aux ravages des eaux sur le plan matériel, ils subissent de plein fouet les conséquences sanitaires et psychologiques d’un drame dont malheureusement trop du localités pays sont l’objet. Pour cause, l’eau stagnante qui favorise la propagation de maladies d’origine hydrique, est de nature à mettre en danger la santé des populations vulnérables qui vivent la peur de nouvelles inondations et l’incertitude quant à l’avenir et la cohésion sociale.
▪ Disparités socio-économiques
Cette crainte est d’autant plus fondée que les inondations touchent disproportionnellement les populations vulnérables. Les personnes vivant dans des quartiers précaires, souvent sans accès aux services publics nécessaires à leur rémission de ce type de catastrophe, sont généralement les plus touchées. Ce cycle de vulnérabilité renforce les inégalités sociales et économiques au sein du corps social, rendant la lutte contre la pauvreté au Sénégal encore plus difficile.
3. Insuffisances des réponses institutionnelles
▪ Absence de coordination
Une analyse de la gestion des inondations met en lumière l'absence de coordination entre les différents niveaux de gouvernement face à cette crise. Celle-ci nécessite une approche holistique, impliquant des ministères tels que l’Urbanisme, l’Environnement et la Santé. Cependant, des lacunes en matière de communication et de collaboration sont souvent observées, entraînant une fragmentation des efforts de réponse des pouvoirs publics.
▪ Plans d'action lacunaires
Bien que des plans d'action aient été proposés par le passé pour gérer les inondations, leur mise en œuvre est souvent lente et inefficace. Plusieurs projets d’infrastructure ont par le passé été freinés par des budgets insuffisants, des contradictions bureaucratiques et un manque d’implication des communautés locales. En effet, la participation citoyenne dans l’élaboration et la mise en œuvre de ces plans reste limitée, ce qui réduit leur efficacité.
4. Perspectives pour l'avenir
Nécessité d'une action au niveau national
Les inondations du 16 septembre 2024 soulignent la nécessité urgente d'une réponse coordonnée au niveau national. Le Sénégal, bien que confronté à de nombreux défis économiques et sociaux, doit investir dans des infrastructures de drainage modernes et efficaces. Cela inclut la revégétalisation des zones urbaines, la réhabilitation des canaux d'évacuation des eaux pluviales, ainsi que la mise en place de systèmes de monitoring des intempéries.
De plus, il est crucial d’envisager une planification urbaine intégrée qui prend en compte les risques d'inondation. La création d’espaces verts, la régulation de la construction dans les zones inondables et la sensibilisation des populations au risque d'inondation doivent devenir des priorités. Les collectivités locales, en collaboration avec le gouvernement central, doivent être mobilisées pour élaborer des plans d’action concrets et durables.
Enfin, il est crucial d’adopter une approche systémique pour aborder les inondations à Keur Niang et au-delà. Cela impliquera :
• L’amélioration des infrastructures : Investir massivement dans des infrastructures de drainage modernes et durables, intégrant des solutions basées sur la nature comme les zones humides urbaines.
• La planification urbaine durable : Établir des zones de protection contre les inondations et éviter la construction dans les zones vulnérables. La régulation stricte des zones à risque doit être mise en œuvre à travers le pays. La cartographie réalisée à la faveur du Plan Décennal doit, à cet effet, être mise à profit.
• Le renforcement de la résilience communautaire : Promouvoir des programmes de sensibilisation sur la gestion des risques, tout en impliquant les communautés dans les décisions qui les concernent.
Conclusion
Les inondations de Keur Niang ne sont pas simplement un événement climatique, mais le symptôme d'un échec systémique de nos politiques publiques. Loin d’être un phénomène isolé, elles constituent un appel à l'action face à un enjeu de sécurité nationale. L'urgence de la situation appelle à des interventions immédiates, mais aussi à une réflexion critique sur les politiques, les pratiques de gouvernance et l'engagement communautaire. Cette approche doit transcender les interventions ponctuelles pour embrasser une approche systémique et plus durable sur le plan national. Pour juguler la résurgence de tels désastres, une volonté politique forte ainsi qu’une mobilisation de toutes les parties prenantes sont indispensables. C'est par une action collective et intégrée que le Sénégal pourra construire un avenir plus résilient face aux aléas climatiques et éviter que les désastres naturels tels que les inondations ne deviennent la norme. Il est donc temps de renverser la tendance en prenant des mesures proactives pour protéger les populations et leurs biens.
Par Al Hassane NIANG