REPORTAGE. Migrations : comment convaincre les jeunes Sénégalais de ne pas choisir l’exil ?

Au Sénégal, l’ONG espagnole Open Arms informe les candidats qui rêvent d’Europe, en organisant des « causeries », qui expliquent les dures réalités du parcours migratoire.

Mbour, au sud de Dakar. Dans une petite salle où la température dépasse allègrement les 35 °C, Esther Alima Ndour, aidée de Patrice Diatta, un autre « capitaine de l’information », a réuni une douzaine de jeunes, filles et garçons.

Les risques du périple
L’objectif ? Sensibiliser son auditoire aux (dures) réalités de l’immigration. Au programme de la rencontre : déconstruire l’image d’une Europe idyllique, détailler les risques du périple et ce qui attend les candidats au départ une fois arrivés, et, pour finir, développer de bonnes raisons de rester au pays.

En dehors de son travail comme secrétaire comptable au Centre de formation Frédéric-Ozanam, Esther s’est engagée comme bénévole au sein de l’association Talal Lokho (mains ouvertes en wolof). Avec l’appui de l’ONG espagnole Proactiva Open Arms, elle anime régulièrement des « causeries » comme aujourd’hui.

« C’est la « photo choc » du petit Aylan, retrouvé mort sur une plage turque, en 2015, qui m’a poussée à agir », confie la jeune femme.

Témoignages forts
Une fois le rétroprojecteur déployé, la « causerie » peut commencer. Les images et les vidéos s’enchaînent. Les témoignages forts, et parfois insoutenables, se succèdent, émaillés de questions à l’assistance.

« Pensez-vous qu’il n’y a pas de pauvreté en Europe ? Croyez-vous trouver sans difficulté un emploi bien rémunéré à votre arrivée ? Un accès facile à un logement, à l’éducation, aux services de santé sans trop de contraintes économiques ou administratives ? »

Les périls du voyage sont largement mis en évidence, quel que soit l’itinéraire emprunté. La mort en mer, par noyade ou déshydratation, pour ceux qui tentent de rejoindre les Canaries en pirogue, plus de 1 500 km à vol d’oiseau. « Combien de temps peut-on rester dans l’eau froide… si on sait nager ? », interroge Esther.

Violence et racisme
La violence et le racisme au Maroc, pour ceux qui espèrent franchir les barricades des enclaves espagnoles de Melilla ou Ceuta. Les viols et l’esclavage, pour ceux qui tentent leur chance par la Libye. « Le voyage vers l’Europe peut durer des années », explique Esther.

Les images des centres d’internement et de la vie quotidienne des migrants en situation irrégulière, comme celle de ce vendeur à la sauvette sans papier qui tente de survivre en Espagne, complètent le sombre tableau.

Face aux deux capitaines, le groupe de jeunes diplômés, Assane, Aliou, Amsadou, Coumba, Aby, Elimane, Sémou, Charles, Nicolas, Traoré Abou, Rokhaya, Mame Diarra, Dieynaba, Cheikh et Awa, s’interpelle.

« Moi, ce qui me rend heureux, c’est d’être à côté de mes parents et de mes frères. » « Partir, c’est un suicide. » « C’est mieux de rester ici, même si tu ne réussis pas. »

« Vous avez des solutions ? »
Mais un autre lui répond : « Être exploité là-bas, c’est toujours mieux que d’être libre ici. » Pourtant, lui rétorque-t-on, « ici on a la liberté, tu peux rentrer à minuit, personne ne te demandera tes papiers ».

Puis, un cri du cœur : « On a compris. Partir, c’est dangereux, mais nous, on voudrait surtout que vous nous donniez de bonnes raisons de rester ici. On fait des études. On te forme en audiovisuel pendant trois ans et puis quoi ? Rien, pas de boulot. Vous avez des solutions ? »

Esther répond : « L’entreprenariat. Il n’y a pas besoin d’avoir des milliards pour commencer à entreprendre. Je reviendrai pour vous montrer des exemples, lors d’une prochaine causerie. Au Sénégal, même si c’est difficile, il y a des opportunités pour réussir. »