Sans langue de bois

07 - Août - 2023

“Violences et crimes au Sénégal : le mal est dans notre société”. Tel est le titre de la contribution du doyen M.S. que j’ai eu à lire dans le dernier numéro de la présente revue hebdomadaire.
Il y dresse un tableau funeste de notre société, en pointant du doigt la Diaspora de manière générale, et les “modou-modou” en particulier, comme étant les instigateurs de cette violence “inouïe”. Mais le passage qui a le plus attiré mon attention dans son édito, c’est celui où il décrit l’immigré comme étant une personne “déséquilibrée”, un être rejeté par sa société d’accueil, tellement dépaysé et mal-aimé qu’il en arrive à déverser tout son venin vers son pays d’origine.
De tels propos n’honorent pas M.S. : je doute fort qu’il puisse ignorer le vécu des modou-modou, au su de la longévité du cadre de C.A.D.E.S.S sous les cieux italiens, ou bien cela relève tout simplement d’une tentative à peine voilée de s’attaquer à des compatriotes qui n’ont commis de faute excepté le fait d’avoir une vision politique aux antipodes de la sienne. Dans l’un et l’autre cas, il y a lieu de se poser un certain nombre de questions.
“Picc a nga ci kaw waye xel ma nga ça suuf”, ces quelques vers de l’intemporel Alla Seck nous en disent long sur l’état d’esprit des sénégalais de la Diaspora. Certes, il arrive que certains d’entre nous, du fait des difficultés d’obtention d’un PDS (permis de séjour) ou d’une green card, passent nombre d’années à l’étranger avant de pouvoir faire retour au bercail ; mais nul ne peut nier à ces concitoyens leur attachement au devenir de notre chère nation qu’ils chérissent plus que tout.
L’apport de la Diaspora n’est plus à démontrer et sa contribution va au-delà de la manne financière destinée aux familles, qui dépasse largement l’aide au développement. Transfert de compétence, retour d’expériences et accompagnement des plus jeunes en sont les maître-mots.
La différence entre cette masse critique de sénégalais à part entière et l’opinion publique nationale, c’est qu’ils sont assez libres et indépendants pour tenir un langage de vérité à l’endroit de nos autorités, sans risque de subir directement la foudre de l’appareil d’état.

Langage de terreur vs langage de vérité
« Kamikaze ». Le vocabulaire utilisé par notre cher M.S. (à noter les initiales rappelant un apprenti dictateur dans un pays d’Afrique de l’ouest) s’inscrit dans la suite des propos du Ministre de l’Intérieur qui, à la suite de l’incident de Yarakh, a qualifié le jet de cocktail molotov dans un bus d’attentat terroriste. Ce qui n’est pas nouveau. Il avait utilisé ces mêmes éléments de langage suite aux évènements de mars 2021, terreau de toutes les violences qui se sont passées par la suite.
ATTENTION : à vouloir graver au fer rouge ce genre de propos dans la conscience citoyenne l’on risque de produire le contraire de l’effet escompté : une banalisation des pratiques délictuelles qui auront finalement pignon sur rue. En témoignent les dernières sorties du gouvernement qui n’ont rien de solennel et confortent les administrés dans la méfiance/défiance des élus.
On en arrive même à oublier les victimes (près d’une cinquantaine entre les évènements de mars 2021 et juillet 2023) tombées sous les balles des Forces de défense et autres milices armées ayant semé la terreur dans les artères de la capitale. Dans une conférence de presse, des éléments de la Police Nationale avaient essayé de justifier le tollé des nervis qui sillonnaient les rues et tiraient sur les populations, sous le regard complice des hommes de tenue. Heureusement que des vidéos amateurs ont fini par rétablir la vérité et « Le Monde » a pu trancher en faveur des manifestants, écartant définitivement la piste terroriste.
Cette propagande mensongère permanente visant à légitimer l’utilisation des moyens de répression de l’état ne pouvait qu’engendrer un climat de révolte.

Qui pour condamner cette violence gratuite qui ne dit pas son nom ?
À cette époque historique, le langage que tout citoyen sénégalais devrait tenir pour le salut de notre chère nation ne doit s’inscrire que dans la vérité, loin des chapelles partisanes et de tout intérêt crypto personnel.
Il existe un substrat dans chaque individu d’où se développe la violence, mais il y a des éléments déclencheurs et c’est plutôt là où on devrait mettre le curseur. Les premiers responsables de cette violence que M.S. évite de citer, à tort ou à raison, c’est bien nos autorités qui exercent un abus de pouvoir sur la population depuis un certain temps.
Dans le post partagé sur facebook par Moussa S. Absa, (qui d’ailleurs a précisé qu’il n’en est pas l’auteur) on y parle également de « […] députés trafiquants, faussaires, du maatay partout », et c’est ce maatay là qui risque de plonger le pays dans les lendemains difficiles. Dans une société où les élites sont les premiers à faire l’apologie de la médiocrité, nul n’est à l’abri des dérives.
Rappelons que le président (qui s’achemine vers la fin de son dernier et ultime mandat) s’était prêté il n’y a pas longtemps à l’exercice d’un live avec un insulteur et a promu au rang de député une dame connue pour ses écarts de langage. Finalement, ceux qui sont sensé donner l’exemple nous narguent, se servent de la violence d’état comme moyen de liquidation d’adversaires politiques.
La jeunesse n’étant que le reflet du monde adulte, ils ne feront que se conformer au modèle de société promu par la classe dirigeante.
Notre société traverse une crise existentielle qui requiert des solutions à prendre à bras-le-corps. Ce qu’on constate malheureusement c’est l’apathie des régulateurs sociaux (marabouts, dignitaires locaux etc.) qui jadis avaient un rôle d’émissaires de la paix. Ceux d’entre eux qui avaient pris le flambeau en mars 2021, quand le régime était dans de sales draps, se sont bizarrement tus dans un silence assourdissant, au moment où l’état déroule son plan de répression sans base légal, foulant au pied nos acquis démocratiques qui sont le fruit d’années de lutte.
C’est le moment ou jamais de se ressaisir.

Jeune modou modou et membre de Pastef

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