La Transhumance Politique : Phénomène Inquiétant et Révélateur au Sénégal

08 - Novembre - 2024

Vers la fin des années 90, alors que je préparais une maîtrise en littérature et civilisation américaines, mon ami Masse Sy, sociologue en formation, m’a confronté à une notion qui allait marquer ma vision de la politique sénégalaise : la transhumance politique. Lorsqu’il m’a parlé de son sujet de recherche, je me suis senti interpellé. Moi, natif du Djolof, j’avais toujours associé la transhumance aux mouvements saisonniers des troupeaux dans le Ferlo. C’était la première fois que j’entendais ce terme appliqué aux politiciens. Masse, avec son regard acéré, m’a alors répondu que ce phénomène, s’il n’était pas encore très visible, n’en deviendrait que plus évident avec le temps.
Près de trois décennies plus tard, les prédictions de Masse se sont réalisées. Aujourd'hui, la transhumance politique est une pratique généralisée au Sénégal, et elle reflète un malaise profond dans notre classe politique.
La transhumance politique consiste pour des politiciens à changer de parti ou d'allégeance au gré des intérêts personnels, souvent dans le but de se rapprocher du pouvoir ou de profiter de nouvelles opportunités. Ce comportement opportuniste contraste avec l’engagement idéologique et les convictions que l’on pourrait attendre d’une figure publique. En faisant abstraction des convictions politiques, les politiciens transhumants priorisent leur carrière et leurs avantages matériels.
Dans les années 90, la transhumance politique existait, mais elle demeurait relativement rare. Masse Sy et d'autres sociologues voyaient néanmoins émerger un glissement : les principes et valeurs politiques commençaient déjà à céder le pas devant des motivations purement personnelles. En effet, au fur et à mesure que les partis politiques sénégalais se sont multipliés et que le pouvoir est devenu plus accessible pour certains, des leaders ont commencé à changer de camp sans état d’âme.
Plusieurs facteurs expliquent pourquoi la transhumance politique est devenue si courante au Sénégal :
Faiblesse des partis politiques : La majorité des partis manquent de structures solides et d’une philosophie forte. Cela rend plus facile le passage d’un parti à un autre sans conséquence idéologique.

Absence de conviction et de philosophie politique : Les politiciens sont de plus en plus motivés par des intérêts personnels. Les idéologies, quand elles existent, ne sont souvent que des façades.
Attrait des avantages matériels : Pour beaucoup de politiciens, rejoindre le camp au pouvoir signifie obtenir un poste, des subventions ou des contrats. La politique devient alors un moyen de s’enrichir plutôt qu’un service à la nation.
La transhumance politique a des effets dévastateurs sur le système démocratique et sur la confiance des citoyens :
Défiance de l’électorat : Lorsque les citoyens voient leurs représentants changer de camp au gré de leurs intérêts, ils perdent confiance en leurs institutions et en leurs élus.
Affaiblissement des partis d’opposition : Les ralliements vers le parti au pouvoir affaiblissent l’opposition et créent un déséquilibre politique qui limite le débat démocratique.
Stagnation de l’évolution politique : La transhumance rend difficile l’émergence de nouvelles idées, puisque le débat est souvent étouffé par l’intérêt personnel.
Avec l’accession du Pastef au pouvoir, un nouvel épisode de transhumance politique a commencé. Certains qui critiquaient hier ouvertement Ousmane Sonko et son mouvement sont désormais dans ses rangs, profitant de l’aura du nouveau pouvoir. Ces conversions récentes soulignent encore une fois que, pour beaucoup, les convictions sont secondaires. Ils se positionnent dans le camp favorable pour rester pertinents politiquement.
Le Sénégal n’est pas le seul à souffrir de ce mal. La transhumance politique est un phénomène observé dans plusieurs démocraties africaines, comme au Nigeria et au Kenya, où les politiciens n’hésitent pas à changer de parti selon le contexte électoral et les avantages perçus. Des exemples de transhumance existent également dans certaines démocraties occidentales, bien que le phénomène y prenne souvent des formes plus subtiles.

Pour limiter ce phénomène, plusieurs solutions pourraient être envisagées :

Renforcement des idéologies des partis : Les partis pourraient être encouragés à adopter des lignes idéologiques claires, permettant aux membres de mieux se définir politiquement et de créer une adhésion fondée sur des valeurs.

Sensibilisation à l’engagement citoyen : En renforçant l’éducation civique, on peut espérer former des leaders conscients des valeurs républicaines et des engagements envers le peuple.
Transparence et éthique en politique : Mettre en place des mécanismes pour garantir la transparence et l'intégrité des élus permettrait de limiter la tentation des ralliements opportunistes.
Masse Sy, en sociologue avisé, avait su voir dans les années 90 ce qui allait devenir un des travers de notre système politique. La transhumance politique, loin d’être un simple phénomène anodin, est devenue une menace pour la démocratie et pour l’éthique politique au Sénégal. Pour que le pays puisse évoluer, il est impératif de repenser nos valeurs et de redéfinir les bases de l’engagement politique.

Sakho Malick

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