Entretien exclusif avec Monsieur Aly Baba Faye : “La diaspora devrait avoir un programme autonome et une stratégie de participation au développement économique et social”

25 - Septembre - 2022

M. Aly Baba Faye fait partie de la première génération des sénégalais à venir en Italie. Sociologue, consultant en gestion publique et expert en gouvernance des migrations, il a accepté de nous accorder cet entretien.

Bonjour Monsieur Faye merci de nous accorder cet entretien

C'est moi qui dois vous remercier pour l'opportunité que vous me donnez de pouvoir m'exprimer sur un certain nombre de questions. Par ailleurs je loue le grand job que vous faites pour mettre la diaspora au cœur des débats.

Monsieur Faye vous vivez en Italie l’un des pays d’accueil des migrants. Comment est la situation en cette période encore marquée par la crise ?
Je dirai simplement que l'Italie vit à sa manière la crise multiforme qui pèse sur l'évolution des affaires du monde d'aujourd'hui. Nous sommes dans une phase historique marquée par la conjonction de deux faits majeurs qui ont marqué l'évolution de la marche du monde. D'une part la crise sanitaire représentée par la pandémie et d'autre part la guerre ukrainienne et ses implications sur les dynamiques géo-stratégiques. Pour le dire en jargon on peut parler de crise multiforme. De la crise sanitaire nous sommes menacés par la crise alimentaire en passant par une crise militaire. Et dans ce contexte le spectre d'une guerre nucléaire plane encore sur les esprits. La crise énergétique déstabilise les systèmes de production et ses conséquences sur le plan socio-économique sont très dévastateurs. D'autre part la guerre a relancé une nouvelle course aux armements. On relève une sorte d'involution sur le plan économique. En effet, on parle d'une sorte revanche du complexe militaro-industriel par rapport à la financiarisation et à l'économie numérique. Et tout ça sur fond d'une crise de gouvernance qui met à nu les fragilités de la mondialisation. Et l'affirmation du sovranisme et le regain de nouveaux nationalismes sont autant de réponses politiques et c'est pour ça qu'on parle plus de mutations que de crises. Dans ce contexte l'Italie paye pour ses vulnérabilités qui l'exposent à des risques de default économique et d'implosion sociale.

La diaspora a encore élu ses quinze députés. Quel commentaire en faites-vous ?
Comme vous le savez j'ai toujours apprécié à sa juste mesure le fait que des membres de la diaspora puissent siéger à l'Assemblée Nationale. C'est une des formes de représentation et de participation politique. Naturellement la manière dont ce choix a été traduit nous projette dans une dynamique d'élection de députés issus de la diaspora et non de députés de la diaspora. Les élus représentent leurs partis d'abord. Moi personnellement j'ai toujours pensé que la diaspora devrait avoir un programme autonome et une stratégie de participation au développement économique et social. La diaspora est un capital social et c'est dans cette optique que nous pouvons la valoriser. L'exemple est donné par ce que que les bi-nationaux et les sénégalais de l'extérieur représentent aujourd’hui pour l'équipe nationale de football. C'est vers cela que la diaspora devra aller, la valorisation du capital social pour la construction d'un Sénégal nouveau.

Madame Annette Seck, une pharmacienne de formation hérite du département des Sénégalais de la diaspora. Que pensez-vous de cette nomination ?
Je ne la connais pas et je ne sais pas si elle a les compétences spécifiques en matière de gouvernance de la diaspora mais je lui souhaite plein succès. En 18 mois on peut quand même poser des actes concrets.

Beaucoup estiment que les autorités ont échoué dans la gestion de la diaspora parce qu’elles n’ont pas associé les Sénégalais de l’extérieur dans la gestion. Êtes-vous de cet avis ?
L’implication des sénégalais de la diaspora est une condition nécéssaire mais pas suffisante. La gouvernance de la diaspora nécessite d'une certaine expertise. C'est un défi qui interpelle plusieurs dimensions à partir de la connaissance des problématiques et de la capacité de mobilisation des ressources stratégiques. Avec l'objectif d'un empowerment des personnes et leur implication dans une dynamique collective au service du développement économique et social. Je le répète depuis des décennies : la diaspora peut être bien plus qu'une vache à lait, elle peut être au cœur des processus transformationnels pour la construction et la reconstruction nationale par des initiatives structurantes. Voilà l'urgence c'est d'inscrire la gouvernance de la diaspora dans la durabilité.

Le président Macky Sall nomme un nouveau premier ministre qui a mis en place son gouvernement. Quel commentaire en faites-vous ?
Ce fait a été acté après deux élections : les locales et les législatives. Et cela a 18 mois de la présidentielle. Donc tout le monde l'attendait puisqu'il était censé être un indicateur de ce que le PR voudrait faire pour le reste de son dernier mandat. Et au-delà du non-débat sur un troisième mandat c'est la question de la consolidation de la vision qu'il a scellée avec le PSE et donc le choix de son successeur. Ces deux questions ont animé des discussions passionnées. Nous sommes un pays ou le bavardage est un sport très pratiqué. Mais je crois que Amadou Ba pourrait s'inscrire dans la trajectoire que le PR immagine et il pourrait dans cette optique faire des choses importantes dans le social pour atténuer les effets des chocs exogènes. Il me paraît être dans les dispositions de poser des actes définis dans le PSE qui est la vision du Président de la République. Il a 18 mois pour convaincre qu'il peut être le candidat du camp présidentiel. En tout état de cause ce qu'il faut retenir de cette nomination c'est que le PR de fait a choisi son dauphin. Maintenant est ce choix sera accepté par ce qui reste de la mouvance présidentielle et à l'occurrence est ce qu'il pourra redorer le blason d'un régime qui n'est plus dans la grâce de la majorité des électeurs cela dépendra de la partition que Amadou Ba pourra jouer d'ici 2024. En tout cas, l'avenir nous éclairera. Par contre ce que je déplore c'est le caractère pléthorique et la formation de l'architecture du gouvernement. Là on a l'impression que la logique politicienne l'a emporté sur la logique d'efficacité et d'efficience de la gouvernance. Et même d'un point de vue symbolique le fait qu'il y ait 8 femmes sur 38 c'est une inversion par rapport à la question genre. Et l'organisation des départements ministériels et l'attribution des portefeuilles de compétences souffrent d’un manque de cohérence.

De nos jours de plus en plus de cadres sénégalais préfèrent aller servir d’autres pays. Ce phénomène communément appelé la fuite des cerveaux affecte des pays comme le nôtre. Quelle en est la cause ?
Moi je suis suffisamment réseauté dans la Diaspora et je peux dire que les cadres sénégalais cultivent toujours l'idée de pouvoir donner leur contribution au Sénégal. Le problème c'est que le "tout politique" est un frein, un obstacle pour la méritocratie. Chez nous on ne valorise pas les compétences c'est ça le problème. Il y a des chantiers énormes comme par exemple la validation des acquis de l'expérience migratoire, les transferts de compétences, etc… Mais rentrer au Sénégal s'est avéré une galère pour beaucoup qui ont osé le retour. Des obstacles de tous genres se présentent à partir de la bureaucratie mais aussi des pesanteurs sociales. Mais la vérité est que tout cadre sénégalais aimerait servir notre pays.

Quelles solutions préconisez-vous ?
Il faudrait une rupture. Pour ce faire il sera nécessaire l'affirmation du culte de l'excellence, l'abandon des logiques de privilèges au profit des logiques de droits. Il faudrait aussi arriver à l'autonomisation de l'administration et la dépolitisation des entreprises publiques. Une des réformes majeures à faire concerne la fonction publique et les modalités de recrutement des cadres. Bref avec un peu de benchmarking on pourrait adopter ce qu'il y a de mieux à faire en matière de gestion publique. C'est le fonctionnement de l'Etat dans son ensemble qui nécessite une révolution. De nouvelles règles de fonctionnement et de nouveau système de gestion.

Entretien : Malick SAKHO

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