Entretien exclusif avec professeur Cheikh Tidiane Gaye, poète écrivain, chevalier des arts et des lettres et fondateur du prix Léopold Sedar Senghor : "Léopold Sédar Senghor m’inspire profondément. J’aime sa poésie et je crois fermement en sa philoso

24 - Novembre - 2024

Commençons par vos initiatives récentes visant à diffuser des messages et des actions en faveur de la paix. Un engagement marqué par plusieurs distinctions, notamment le Prix pour la Paix Narges Mohammadi, ainsi que votre nomination comme Ambassadeur de la paix par l’Académie des Arts et Sciences Philosophiques de Bari. Pouvez-vous nous raconter comment est née l’idée de semer des graines de paix à travers la plantation d’oliviers, symbole de non-violence et d’harmonie entre les peuples ?

Cheikh Tidiane Gaye – «Dans mes écrits, j’aborde souvent le thème de la paix, de la liberté et de l’amour entre les peuples. Ces thèmes, je les mets également en avant dans mes activités, notamment à travers le Prix International de Poésie Léopold Sédar Senghor, que j’ai créé. Ce prix a reçu la médaille du Président du Sénat, du Président de la Chambre des députés, ainsi que le patronage du Saint-Siège, du Parlement européen et de nombreuses institutions.

Ces dernières années, j’ai proposé à plusieurs maires italiens de planter des oliviers, symboles du dialogue interreligieux, afin de promouvoir et d’éduquer à la paix. Certains maires ont soutenu et adhéré à ce projet.

On parle beaucoup d’écologie, de l’importance de planter des arbres et de lutter contre la pollution, mais je pense qu’il faut aussi une écologie de l’esprit, des idées. Planter un olivier, c’est ouvrir des réflexions sur le présent et l’avenir afin d’améliorer le monde. Je vois le monde comme un bien à préserver. Je crois fermement en la liberté et au dialogue. L’Académie des Arts et Sciences Philosophiques a reconnu cet engagement. En octobre, j’ai également appris que certains enseignants allaient proposer ma candidature au Prix Nobel de la Paix. C’est un honneur, mais ce n’est pas mon objectif. Mon but est de me battre jusqu’à mon dernier souffle pour favoriser le dialogue et l’amour entre les peuples.»

Dans votre travail, votre vie et vos initiatives, on perçoit un dénominateur commun : l’humanisme ou la “négritude ouverte” de Léopold Sédar Senghor. Ce n’est pas un hasard si vous êtes Président de l’Académie Internationale Léopold Sédar Senghor…

Cheikh Tidiane Gaye – Léopold Sédar Senghor m’inspire profondément. J’aime sa poésie et je crois fermement en sa philosophie. «Lui aussi, dans sa thèse sur la symbiose des cultures, plaçait l’être humain au centre. Et c’est la “Civilisation de l’Universel” qui nous guidera et nous sauvera : c’est là le véritable humanisme.

Chaque être humain, quelle que soit sa terre d’origine, son appartenance linguistique, religieuse ou la couleur de sa peau, est appelé à donner et à recevoir afin de construire un monde meilleur. Ce donner et recevoir devient la clé caractéristique de l’humanité. Nous devons réapprendre à redevenir humains.

Je suis heureux de continuer à arroser le chemin tracé par le poète-président Senghor, cet homme visionnaire qui avait compris l’avenir du monde. Nous ne pourrons réaliser son rêve si la guerre inonde chaque coin du globe. Nous sommes appelés à créer un monde de paix pour bâtir la “Civilisation de l’Universel”.»

Ainsi, la pensée de Léopold Sédar Senghor est plus actuelle que jamais… Pensez-vous que l’Italie contemporaine soit capable de la comprendre et de l’intégrer ?

Cheikh Tidiane Gaye – «Notre devoir est de revenir réfléchir sur les pensées des grands poètes et philosophes. Qu’ils soient anciens ou contemporains, aujourd’hui, notre devoir est de comprendre notre vécu. Senghor est présent : ce grand chantre de la latinité, de la culture hellénistique, ce fervent catholique qui embrassait aussi l’islam est “vivant”. Senghor nous a beaucoup appris.

Comme nous le savons bien, l’humanité a connu des guerres sanglantes. Posons-nous la question éthique : pourquoi toutes ces morts ? Tuer pour la richesse ? Tuer pour la foi religieuse ? Je dis que c’est de la folie. Je pense que nous avons une grande responsabilité envers l’avenir du monde. Nous devons des réponses aux jeunes générations qui n’ont pas connu la construction de murs. En tant qu’écrivain et poète, ma mission est d’éduquer, de promouvoir l’idée de paix, d’égalité, de liberté pour construire le bien de l’humanité. Senghor ne peut être pour moi qu’une lumière qui m’éclaire.

Je me souviens d’un de ses beaux vers : J’ai rêvé d’un monde de soleil, / Dans la fraternité de mes frères / Aux yeux bleus.»

Remontons le temps et parlons de votre arrivée en Italie. Quand êtes-vous arrivé et pourquoi ?

Cheikh Tidiane Gaye – «Cela fait presque 30 ans que je vis en Italie, un séjour fructueux dans un pays qui m’a tout donné. Pourquoi ai-je choisi l’Italie ? Je ressens profondément que c’est chez moi, que je veux connaître l’histoire glorieuse d’une terre qui a tant donné à l’humanité. J’ai rejoint cette péninsule pour écrire les plus belles pages de ma biographie, encore incomplète. J’ai encore beaucoup à faire et à offrir. J’espère continuer à rêver et à contribuer au bénéfice de la collectivité.»

Au cours de ces décennies, de votre point de vue, comment l’Italie a-t-elle changé ? Ressentez-vous une augmentation des intolérances et des racismes ?

Cheikh Tidiane Gaye – «L’intolérance existe, et l’ignorance règne partout. Demandons-nous pourquoi nous en sommes arrivés là ? C’est l’incapacité de nos politiques. L’immigration ne se gère pas avec du populisme. L’Italie n’a pas appris des autres pays. Il y aura toujours des flux migratoires, cela devrait être clair.

Pour vaincre l’intolérance et l’ignorance, nous devons façonner des scénarios éducatifs visant à garantir de véritables politiques inclusives. Il faut associer droits et devoirs, puis repartir de l’école et soigner le langage politique d’aujourd’hui, souvent abusif et blessant pour le pays. La classe politique actuelle n’est pas capable de créer ces parcours. Il est alors plus simple de finir dans les médias en utilisant l’immigration comme cheval de bataille électoral pour obtenir des votes. Voilà le grand mal.»

En plus d’être écrivain et enseignant, vous êtes poète. Vous avez dédié au pape François le poème Mes trois fleurs, qui porte de nombreux messages, notamment la fraternité et le dialogue entre les peuples et les religions. Comment est né ce poème et comment le Pape l’a-t-il accueilli ?

Cheikh Tidiane Gaye – «J’adore le pape François, un grand homme, un homme de paix. C’était en 2015, lorsque j’ai dédié au Pape le poème que vous avez mentionné, Mes trois fleurs. Le titre, symboliquement, évoque les trois religions : le judaïsme, le christianisme et l’islam, appelées à dialoguer pour garantir la paix dans le monde.

J’ai rapidement reçu une réponse du Vatican, une lettre signée par l’Assesseur Mgr Peter B. Wells. Dans cette lettre, l’Assesseur me remerciait pour cet hommage et pour les sentiments traduits dans le poème. Le message du pape François est clair : que les synagogues, les églises et les mosquées parlent davantage de paix. Il faut nourrir l’espoir que quelque chose change concrètement. Le pape François est un homme de paix. J’ai voulu traduire mon estime pour lui à travers le langage poétique, et j’espère un jour pouvoir le rencontrer en personne.»

Enfin, un conseil : de votre point de vue, quels gestes ou actions un citoyen “ordinaire” peut-il accomplir pour créer une société fondée sur la paix ?

Cheikh Tidiane Gaye – «La paix ne doit pas être prêchée mais cultivée. La paix est à la fois une attitude et un comportement. Considérer la paix comme une vertu pratique peut nous aider à créer un monde différent. Si chacun de nous la pratiquait en pensant faire du bien à l’autre, cela changerait quelque chose.

Toute la question réside dans la manière dont nous traitons “l’autre” et le considérons. Si l’autre est vu comme étant comme nous, alors l’espoir peut naître et le monde peut être différent. “Fais aux autres ce que tu voudrais qu’ils te fassent” : telle devrait être notre pensée quotidienne.»

 

Traduit de l'italien par Malick Sakho diasporaactu.net

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